Les acides gras oméga-3 et oméga-6, qui représentent les deux catégories principales d’acides gras polyinsaturés (AGPI), agissent dans l’organisme de manière antagoniste, si bien que leur part relative au sein de notre apport lipidique importe tout autant que l’apport quantitatif de chacun. Point ne suffit en effet d’absorber suffisamment d’oméga-3 : encore faut respecter l’équilibre oméga-6/oméga-3 et c’est bien tout le problème car nous absorbons de plus en plus d’oméga-6 !
Une déferlante d’oméga-6
Notre nourriture est très – beaucoup trop ! –riche en oméga-6. On estime à cet égard que le ratio oméga-6/oméga-3 dans notre alimentation a augmenté de 300 % au cours des quarante dernières années. Tandis que le fameux régime crétois respecte un ratio de 5 pour 1, celui-ci avoisine plutôt 1 pour 20 dans nos menus modernes (1 pour 48 aux États-Unis).
Rappelons que, dans l’idéal, la répartition des acides gras (voir « Lipides et santé ») dans notre alimentation devrait respecter le schéma suivant :
- environ 50 % d’acides gras monoinsaturés,
- 12 % (au maximum) d’acides gras saturés
- et 30 % d’acides gras polyinsaturés, répartis en 4/5 d’oméga-6 pour 1/5 d’oméga-3.
Non seulement nous tendons à privilégier des corps gras riches en oméga-6 comme l’huile de tournesol, mais l’évolution des conditions d’élevage et d’alimentation du bétail a bouleversé la composition de leurs lipides. À mesure que de plus en plus d’animaux de boucherie, de volailles et même de poissons d’élevage sont nourris de tourteaux de soja et de maïs très riches en oméga-6 (l’huile de maïs affiche un ratio oméga-6/oméga-3 de 60 pour 1), qui permettent un engraissage plus rapide, la composition de leur chair et des autres produits issus de leur élevage (lait, fromage, œufs…) se modifie elle aussi. Voilà comment un saumon (naguère source privilégiée d’oméga-3) devient pourvoyeur insidieux d’oméga-6 s’il est « mal » nourri.… Et voilà comment la part des oméga-6 dans nos apports lipidiques s’accroît inexorablement.
Plus grave, on observe un phénomène similaire chez l’être humain puisque la composition du lait maternel évolue en fonction de l’alimentation : aujourd’hui, au lieu d’apporter 1 part d’oméga-3 pour 5 parts d’oméga-6, il en apporte une pour vingt, voire vingt-cinq[1].
Dans ce contexte, l’insuffisance de notre apport en oméga-3 apparaît presque anecdotique, même si nous n’en absorbons en moyenne qu’environ 0,8 gramme par jour alors que la « dose » quotidienne nécessaire à nos besoins est de l’ordre de 2 grammes. Mais se convertir à l’huile de lin et manger davantage de poisson (bonnes sources d’oméga-3) ne sert pas à grand chose si l’on continue dans le même temps à consommer des viandes ou laitages issus d’animaux nourris au maïs ou au soja : chaque bouchée fera en quelque sorte figure de « piqûre de rappel » d’oméga-6 !
Méfaits des oméga-6 et bienfaits des oméga-3
Ce déséquilibre en faveur des oméga-6 se révèle lourd de conséquences en termes de santé publique. Le laboratoire du Pr Ailhaud a démontré in vitro et in vivo chez la souris que les acides gras oméga-6 augmentent la différenciation adipocytaire, c’est-à-dire qu’ils favorisent l’apparition de nouveaux préadipocytes (donc l’accroissement de notre masse adipeuse avec la création de nouvelles cellules capables de stocker nos excédents nutritionnels sous forme de graisse…). Les rats nourris aux oméga-6 étaient tous en surpoids à l’issue de l’étude, tandis que ceux qui avaient reçu un régime riche en oméga-3 (ou bien équilibré en oméga-3 et oméga-6) n’avaient pas pris de poids[2].
En clair, plus on abuse des oméga-6, plus le nombre des adipocytes tend à se multiplier, ce qui rend le tissu adipeux de mieux en mieux disposé à accueillir d’éventuels excédents énergétiques… Ce mécanisme explique que, malgré une alimentation riche en fruits, légumes et céréales, pauvre en viande, surtout en viande rouge et un apport presque nul en beurre et en charcuterie, la population israélienne affiche une prévalence d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires parmi les plus élevées du monde. Et que si l’on analyse les graisses sous-cutanées des patients, l’on décèle environ 30 % d’oméga-6, ce qui est énorme… Dans toutes les régions industrialisées, l’indice d’adiposité des bébés se ressent également de la composition « enrichie » en oméga-6 du lait maternel.
Les oméga-6 favorisent par ailleurs les phénomènes inflammatoires comme la cellulite par exemple. Or la plupart des pathologies possèdent une composante inflammatoire.
Les oméga-3, eux, aident au déstockage des graisses corporelles. Et, à l’inverse des oméga-6, ils exercent une action anti-inflammatoire. Ce qui peut expliquer que l’« occidentalisation » de l’alimentation des Japonais, avec la diminution de la part des oméga-3 au profit de celle des oméga-6 notamment, se soit traduite par une nette augmentation des cas de maladies de Crohn, une affection intestinale inflammatoire très invalidante[3]…
On comprend donc l’importance d’équilibrer ces sources de lipides.
Rétablir son équilibre oméga-6/oméga-3.
Accroître l’apport d’oméga-3.
C’est l’évidence même. Les sources naturelles d’oméga-3 peuvent être regroupées en deux grandes catégories :
– les poissons gras sauvages comme le saumon, le maquereau, le hareng, l’anchois, sources d’acide docosahexaénoïque (DHA) et d’acide eicosapentaénoïque (EPA), à consommer frais ou surgelés depuis moins de 3 mois (ou en conserve au naturel). Les poissons fumés contiennent moins d’oméga-3 car ceux-ci s’altèrent au contact de l’air. Les aliments de la filière « Bleu Blanc Cœur » (provenant d’animaux dont la nourriture a été enrichie en graines de lin), en contiennent aussi, tout comme le gibier sauvage et les escargots.
– les sources végétales, qui apportent de l’acide alpha-linolénique (ALA) : huile de lin (30 %), huile de cameline (30 %), huile de chanvre (19%), huile de noix (12 %), huile de colza (8 %), graines de lin ou de chanvre, noix, noisettes, amandes, pistaches, graines de citrouille, germe de blé, à acheter en petite quantité et à conserver à l’abri de la lumière car les oméga-3 rancissent rapidement. On en trouve aussi dans la mâche, le pourpier, le cresson, les choux, les épinards, l’avocat et les algues.
Réduire l’apport d’oméga-6.
Cela passe par de meilleurs choix alimentaires… et pas seulement pour vous ! Vérifiez les menus des animaux dont vous consommez la viande, le lait, le fromage ou les œufs et préférez les producteurs qui nourrissent leur bétail « à l’ancienne » et/ou leur administrent des bouillies de graines de lin cuites au lieu de recourir aux tourteaux de maïs ou de soja. Même remarque pour le poisson. Mieux vaut en manger moins, mais de meilleure qualité. Découvrez aussi les charcuteries « à teneur naturellement accrue en oméga-3 » et optez pour des fromages de montagne faits à partir de lait d’animaux ayant fréquenté des alpages d’altitude, des laitages de brebis ou de chèvres nourries à l’herbe (riche en oméga-3) et du pain aux graines de lin. Enfin, évitez d’utiliser de l’huile de maïs, de tournesol ou de soja.
En conclusion, seule une vigilance au quotidien permet de s’assurer que l’on absorbe suffisamment d’oméga-3 comparativement à son – lui garanti dans nos sociétés – d’oméga-6. Une bonne nouvelle tout de même : lorsque l’on rééquilibre ainsi son alimentation, il ne faut que trente-cinq jours pour que les concentrations plasmatiques d’oméga-3 s’améliorent de façon notable !
[1] Ailhaud G, Massiéra F, Weil P, Legrand P, Alessandrini JM, Guesnet P, « Temporal changes in dietary fats : role of n-6 polyunsatured fatty acids in excessive adipose tissue development and relationship to obesity », Prog Lip Res 2006 May ; 45(3) : 203-36, Epub 2006 Feb 10.
[2] Massiéra F, Saint-Marc P, Seydoux J, Murat T, Kobayashi T, Narumiya S, Guesnet P, Amri EZ, Negrel R, Ailhaud G, « Arachidonic acid and prostacyclin signaling promote adipose tissue development : a human health concern ? », J Lipid Res 2003 Feb ; 44(2) : 271-9, Epub 2002 Nov 4.
[3] Shoda R, Matsueda K, Yamato S, Umeda N, « Epidemiologic analysis of Crohn disease in Japan : increased dietary intake of n-6 polyunsaturated fatty acids and animal protein relates to the increased incidence of Crohn disease in Japan », Am J Clin Nutr, 1996 ; 63 : 741-5.